Fragments de souvenirs
Septième nuit du mois du lotus blanc, année 627 du calendrier décarabien.
" Nous n'avons pas d'apparence, donc nous le craignons ... et parce que nous n'en avons pas, nous le respectons. Ainsi la lame jaillira. "
Cette nuit là, le froid était plus rude qu'à son habitude. La plaine blanche et encore pure s'étendait à des kilomètres devant nous. Notre campement était installé derrière une colline, derrière nous. J'étais alors âgé de 33ans et engagé dans ce qui restera pour moi comme le tournant de ma vie. La cérémonie allait commencer, près d'un grand cerisier tout enneigé, le "prêtre" et ses assistants firent signe à tous les initiés de s'agenouiller. Ce que je vais entendre me marquera toute ma vie, ces paroles seront celles qui nous méneront à notre glorieuse perte et à ma misérable survie. Il est impossible de traduire les prières akureyriennes comme elles le méritent, mais voici un essai :
- " Ecoutez les vois de nos âmes, vous tous qui errez sans guide dans les confins de l'au-delà. Où les visages des morts peuvent-ils être vus ? Où leurs voix peuvent-elles être entendues ?
Ecoutez les vois de nos âmes, vous tous qui errez sans guide. Les montagnes se dressent vers le ciel, mais aucun son ne brise le silence. Une douce brise fait frémir les eaux et les fleurs sont encore épanouies. Les oiseaux ne s'envolent pas à votre approche. Comment vous verraient-ils ? Comment sentiraient-ils votre présence ?
Ecoutez les voix de nos âmes, vous tous qui errez. Ce monde est un monde d'illusion. La vie n'est qu'un rêve. Tout ce qui est né doit mourir. Seul le chemin de Vik conduit à la vie éternelle.
Ecoutez les voix de nos âmes, vous tous les puissants de ce monde, vous qui avez régné sur les montagnes et imposé votre loi aux fleuves. Vos règnes n'ont duré qu'un instant et les plaintes de vos peuples n'ont pas connu de fin. Un flot de sang coule sur la terre et les soupirs des opprimés font trembler les feuilles des arbres.
Ecoutez les voix de nos âmes, vous tous les guerriers qui avez envahi, blessé et donné la mort. Où sont vos armées ? La terre gémit et les herbes folles recouvrent les champs de bataille. "
Dans l'obscurité lourde d'encens, le vacillement des lampes faisait danser des ombres vivantes derrière les statues dorées. Des moines en robe rouge assis par rangées, les uns en face des autres, entonnaient la litanie des morts, cependant que des tambours invisibles battaient au rythme du coeur humain. L'assemblée était comme un gigantesque corps. De divers points, parvenaient jusqu'à nous le grondement des organes internes, le gargouillis des liquides et le sifflement de l'air dans les poumons. La cérémonie se poursuivait par l'instruction des ombres et le rythme de ces bruits changeait, devenait de plus en plus lent jusqu'à ce qu'enfin l'esprit quitte son corps : un bruissement, un râle étranglé puis le silence.
Quinzième nuit du mois du lotus blanc, année 627 du calendrier décarabien, aux alentours de Corinth.
" Défaillance. "
Silencieusement, je marche, le regard vide... Je marche sans contraintes, sans maître, personne à qui rendre des comptes ... Je marche, silencieux, comme un être sans maître, esclave de la mort ...
C'est comme si le ciel m'était tombé dessus, entièrement. De cette nuit, à la cérémonie, je n'ais retenu aucun moment, aucun souvenir ne jailli de ma mémoire, pour la première fois la peur m'envahie. Je me souviens vaguement des paroles du grand prêtre ... je me rapelle de l'encens, des ombres, des sons puis ... plus rien, le vide total, un trou béant où aucun souvenir n'a élu domicile ... Mais étrangement je sens en moi une présence, des pouvoirs, une entité que je ne saurais expliquer, je sais seulement que je la sens. De cette cérémonie, cette entité, ce ressenti sera la seule preuve que j'y étais et que pour des raisons que je ne détiens pas.
Soudain, revenant à la réalité, j'aperçois un port au loin, se dessinant progressivement, l'air vigoureux de la mer me fouette la visage, me permettant de remettre les pieds sur terre, après un moment où ma reflexion m'envahie.
Quinzième nuit du mois du lotus blanc, année 627 du calendrier décarabien, Corinth.
" En connaissance de cause. "
L'air humide de cette ville commençait à me donner la nausée et la fatigue m'envahissait de plus en plus, il devenait dur de retenir mes paupières hautes.
Je déambulais dans les rues sombres sans savoir où j'allais, peu importe, du moment que je marchais, que je me sentais vivant. Se sentir exister, vivre en contenant l'air dans mes poumons à la limite de les faire exploser, en sentant les pavés irréguliers de la rue sous chacun de mes pas ...
Je finis par à une place, circulaire dotée d'un jardin en son centre et d'arbres tout autour, quelques magasins étaient présents sur les côtés, mais fermés à cette heure-ci. L'air devint soudainement plus lourd, une ambiance plus pesante m'écrasa au sol, je sentit une forte douleur au crâne, une sorte de battement douloureux et frénétique à l'interieur, lorsqu'en en un reflexe hors du commun, mon corps se mouva quelques peu vers la gauche. Je ne l'avais pas remarqué, mais une boule de lumière bleue vint bientôt me frôler l'épaule et s'écraser au sol, derrière moi. Je restais pétrifié, à genoux, les yeux béants.
Un bruit à ma droite, rapide et sentant le danger me saisissa. D'un mouvement lent du bras droit, je tendis ma main vers la personne que je vît, vêtue de noir et agile, une lueur rougeoyante s'en dégagea, illuminant presque toute la place, quand un bruit sourd et violent retentit. Au même moment je vis la personne se faire ejecter, en flamme.
Suite à ça, plusieurs personnes sortirent des buissons, des arbres, semblant fuir. D'autres boules de feu formées dans mes mains allèrent exploser au contact des fuyards. La personne au sol ne semblait plus bouger mais respirait encore, je m'en approchais et posa ma main sur mon front. Une lueur verdâtre entoura ma main, je sentit une énergie canalisée à travers de mon bras, rejoingnant ma main, puis la lueur incorpora le crâne de la personne.
" Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Qui suis-je ? "
" Je ... J ... Je me nomme Aerdris Porder ... M ... Ma mission est ... de ... vous éliminer ... Général ... Je ... J ... hhh. "
L'homme lâcha son dernier soupir et s'en alla vers le royaume des morts. Mon regard resta figé, l'esprit bouillonant de question ... Quand soudain je sentis une douleur violente derrière la tête, le choc fut rude, je perdis conscience.
Par la suite, il se reveilla chez un homme qui lui proposa d'intégrer une sorte d'ordre qui lui permetterai de recommencer une nouvelle vie. Vyldan y réflechit à deux fois, aucun souvenir avant la cérémonie ne lui revint et des hommes cherchaient à le liquider, rien de mieux que de disparaître et vivre sous un nouveau nom, dans une nouvelle vie.
" Comment tu t'appelle mon gars ? "
" Vyldan ... Vyldan Danath, vous pouvez m'appeller ainsi."